mardi 3 février 2009

A vos plumes...

Les scénarios de BD ne constituent pas l'intégralité de mes activités. J'écris aussi romans et nouvelles (débuts de romans, plutôt). Et par chance, les lycées d'Aurillac ont lancé "A vos plumes", un concours de nouvelle avec une éventuelle publication à la clé. J'ai sauté sur cette occasion, dans l'espoir de d'obtenir le même succès que mon grand frère, qui a lui-même gagner une publication de la même manière (plus d'information sur son blog). En attendant les résultats, voici la nouvelle que j'ai présenté. Bonne lecture, et à plus tard.

On n’empêche pas le temps de filer

C’est comme si le temps était en train de s’arrêter. La collection de pendules de Mami se réduisait peu à peu. Chaque matin Mami en décrochait une du mur avec un soupir et la déposait sur la table. Tic s’asseyait avec tous ses outils, et commençait la bricoler frénétiquement. Aujourd’hui, c’était le vieux coucou suisse du XVIIIème. La table était déjà jonchée de ressorts et d’engrenages. Mami regarda tristement sa dernière horloge, qui indiquait 9h45, puis elle trottina jusqu’à la locomotive, et elle enfourna un pelleté de chardon dans la chaudière. Mami vivait dans un train aménagé. La chaudière ne servait plus pour la traction, mais pour le chauffage. Puis elle gagna sa boutique installée dans le dernier wagon. Elle y vendait des remèdes à base de plantes très réputés dans le village. Ou plutôt, elle les troquait. Dans cette petite commune retirée du monde, l’argent était peu utilisé. Ses habituels clients du mardi passèrent aux heures habituelles. Aucun événement anormal, la routine quotidienne.

A midi, Mami retourna dans la salle à manger. Tic avait déjà dégagé la table. Il était maintenant assis devant la fenêtre, et contemplait le village, blottit dans sa vallée, à travers le carreau poussiéreux. Sa tête métallique et ses yeux luisants étaient en décalage total avec les vieilles chaumières usées par le temps. Tic était un robot domestique de la Technovation Industrie, comme l’indiquait le logo sur sa main gauche. Il s’était écrasé au milieu d’un champ trois mois plus tôt, rappelant aux habitants de ce petit bourg perdu que pour eux aussi, le temps continuait à fuir, inexorablement. Une fois remis à neuf, Mami l’avait pris à son service. Son allure d’épouvantail désorienté avait séduit la vieille femme dont la vie était devenue plus simple. Tic, quant à lui, avait trouvé une compagne. Ils dressèrent la table ensemble et préparèrent le repas. Aurélien arriva alors, après une journée de durs labeurs dans les champs.

Aurélien était le troisième membre de la famille. Un gaillard solide et intelligent, mais peu bavard. Il ne parlait qu’à Mami ; les autres, il n’avait rien à leur dire. C’est lui qui avait aménagé le train et réparé Tic. La vieille femme l’aimait beaucoup. Il accrocha sa faux au mur et s’assis à table, puis il entama les plats que lui apportait Tic. Mami, en revanche, ne mangeait rien. Elle n’avait pas d’appétit ces temps-ci, à cause de tout ce qui se passait.

Tout le monde resta silencieux pendant le repas. Lorsque Aurélien eu terminé, juste avant qu’il ne reparte, Mami murmura seulement : « C’est pour demain soir ». Aurélien la dévisagea, puis acquiesça d’un signe de tête. Il décrocha ensuite sa faux et sortit en direction des champs. Tandis qu’il marchait, il observa le gigantesque écran noir perché sur le toit de la mairie, nouvelle intrusion du présent dans ce passé paisible. Il était là depuis bien longtemps, mais personne n’y faisait plus vraiment attention. Quelque semaine après l’arrivée de Tic, l’écran s’était allumé. Trois jours durant, il avait diffusé en boucle des messages de propagandes. Le maire, énervé, l’avait ensuite débranché, mais le message persistait dans tous les esprits : dans une semaine, jours pour jours, des militaires débarqueraient dans le village et enrôleraient de force tous les hommes valides. Dehors, il y avait la guerre. Une guerre meurtrière qui ravageait tout, tuait tout le monde. Une colossale folie où des hommes tuaient d’autres hommes, avant d’être tués à leur tour, jusqu’à ce qu’il ne reste rien. Aurélien n’aimait pas la guerre, il ne voulait faire de mal à personne. Il voulait rester ici, vivre et vieillir paisiblement dans les champs. Une larme coulait sur sa joue. Il l’essuya d’un revers de manche et serra sa faux plus fort encore, puis il reprit son chemin.

Pendant ce temps, Tic avait débarrassé la table et ressortit le coucou suisse. Il posa un regard inexpressif sur Mami qui acquiesça de la tête, de la même façon qu’Aurélien quelques instants auparavant. Elle attrapa une petite clé attachée à son cou et se dirigea vers un coffre en chêne posé dans un coin de la pièce. Le verrou cliqueta lorsqu’elle tourna la clé dans la serrure. Sa main tremblante poussa le couvercle et attrapa un sac de toile dans le coffre. Tic fouilla dedans et en tira deux bâtons de dynamite. Il regarda sa maîtresse de nouveau. « Je vais en faire d’autres » dit celle-ci. Pour une herboriste de son talent, fabriquer des explosifs était d’une simplicité enfantine, bien que cela ne lui plaise pas. Elle faisait ça pour Aurélien. Elle ne voulait pas qu’il parte.

Pendant une partie de la nuit, Mami regarda des vieilles photographies. La guerre, elle l’avait déjà connue. Cela faisait longtemps, très longtemps. Tout ce bruit…Tout ce sang…Les photographies jaunissantes lui rappelait tout. Et ces souvenirs lui donnaient des nausées. Elle allait devoir se lever, se battre une nouvelle fois.

Le lendemain, malgré le charbon rougeoyant dans la chaudière, une atmosphère lourde et glaciale investit le train. Mami décrocha la dernière pendule du mur. Tic l’ouvrit, retira un engrenage pour l’arrêter, et bricola les mécanismes. L’herboriste le regarda faire, tristement. Elle était désolée de devoir sacrifier sa collection, mais Aurélien comptait beaucoup plus pour elle.

Durant toute la journée, la pancarte fermée resta accrochée sur les volets clos de la boutique. Ce n’était jamais arrivé auparavant. Mami resta sourde aux appels de ses vieux amis qui tambourinaient à la porte. Pour peu, on eu dit qu’elle était morte. Mais elle était juste ailleurs. Son esprit avait quitté son corps. Il fuyait vers d’autres horizons, loin de toute cette misère. Aurélien passa en coup de vent. Elle ne le remarqua pas. Il avala son repas rapidement, puis il repartit. Lui non plus ne travaillait pas. Les jurons des paysans n’y avaient rien changé. Il faisait des ricochés sur le fleuve. L’eau traversait le village de part en part, et les galets venait danser sur sa surface argentée, puis coulaient dans ses mystérieux remous. Entre deux lancers, Aurélien contemplait l’eau fuyant vers l’aval du fleuve, pensivement. Chaque seconde semblait une éternité, comme si bricoler la dernière pendule avait déréglé le cours du temps. Mais l’eau continuait à couler tranquillement, à engloutir un à un les galets et à réfléchir les rayons du soleil déclinant peu à peu.

La nuit tomba lentement, sans se presser. Alors que les dernières lueurs du soleil commençaient à faiblir, les trois compagnons traversèrent la ville aux murs rougeoyants. Leurs ombres colossales escaladaient les façades et le son de leurs pas emplissaient les rues désertes qu’ils parcouraient à la hâte. A cette heure, seule l’auberge du père Maurice était encore animée. Havre paisible et chaleureux, il représentait tout ce que Mami voulait protéger. Alors que la troupe passait devant, un jeune homme en sortit. Il s’agissait sans doute d’un homme de l’extérieur cherchant à se mettre au vert, arrivé là par quelques sentiers perdus. Il alluma sa pipe, aspira quelque bouffées de fumée tout en regardant les trois compagnons passer et les salua d’un signe de tête qu’ils lui rendirent. Son regard pénétrant semblait examiner leurs pensées dans le moindre détail. A l’expression de son visage, on eut dit qu’il connaissait leurs intentions et qu’il essayait de leur dire quelque chose. Mais ils n’y prêtèrent pas attention et ils accélérèrent le pas.

Une fois sortis du village, la brise du soir vint leur caresser le visage. Ils parcoururent champs et sentiers en longeant le fleuve en direction des gorges, en amont. Lorsqu’il fit trop sombre, Tic se figea quelques instants puis, avec un bourdonnement mécanique, ses orbites s’allongèrent et éclairèrent les alentours d’une puissance lumière. Le robot se remit ensuite en marche, prenant la tête du groupe.

Une dizaine de minutes plus tard, ils atteignirent les gorges. Aurélien posa alors le sac qu’il transportait sur son dos. En combinant les pendules aux bâtons de dynamite, Tic avait conçut, à raison d’une par jour, une cinquantaine de bombes à retardement. Aurélien en déposa la moitié dans un deuxième sac qu’il tendit au robot avant de remettre le premier sur son dos. Il rejoignit un gué pour traverser le cours d’eau en prenant soin de ne pas mouiller les explosifs. Puis les deux compagnons escaladèrent chacun un versant des gorges. Mami avait fait partie d’un mouvant de résistance, elle en savait long sur les sabotages. Sous ses ordres, Tic et Aurélien plaçaient les explosifs aux points stratégiques, afin que les pans de roche arrachés par les explosions obstruent totalement le lit du fleuve. Dans cette région montagneuse aux pentes escarpées, il était impossible de circuler avec un véhicule terrestre, et le brouillard qui flottait perpétuellement au dessus du village interdisait la navigation aérienne. Ainsi le fleuve restait le seul moyen d’accès à ce bourg retiré. Et Mami comptait bien le condamner définitivement. Les bombes à retardement allaient une fois pour toute détacher le village du monde.

Une fois leur besogne accomplie, les trois compagnons repartirent le pas et le cœur légers, laissant derrière eux le cliquètement infernal des bombes à retardement. Ils ne prêtèrent pas vraiment attention aux détonations qui retentirent quelques minutes plus tard, alors qu’ils retournaient au village. Heureux d’avoir libérer leurs cœurs de ce fardeau, ils pensaient à autre chose. Mais un détail imprévu vint briser ce bonheur. Les éboulements dus aux explosions avaient libérer les eaux d’une rivière souterraine qui transformèrent le fleuve calme en un torrent dévastateur qui balaya les roches en quelques instants. Alors qu’il marchait tranquillement au bord de l’eau, Tic fut happé par la crue soudaine et, malgré tous ses efforts pour s’agripper à la rive, le courant intense l’emporta violemment et l’aspira sous les flots tumultueux.

Aurélien et Mami ne pouvaient que contempler bouche-bée le fleuve rugissant engloutir leur compagnon et emporter vers leur village des tonnes de roches et de gravats qui causerait sans doute des dégâts importants aux maisons les plus proches du cours d’eau. Il avait cherchés à stopper le temps et ils payaient maintenant le prix de leur témérité. Quoi que l’on fasse on ne peut éternellement fuir le temps, car il finit toujours par nous rattraper. Quoi que l’on fasse, on n’empêche pas le temps de filer.